La République dominicaine et Haïti en transe historique

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Après l’article du Listín Diario de l’ambassadeur Angel Lockward intitulé : La République dominicaine est en guerre avec Haïti, j’ai voulu mener un débat essentiellement académique, avec respect et cordialité pour les lecteurs qui souhaitent se plonger dans l’histoire commune des deux pays, selon nos critères respectifs. Malheureusement, l’ambassadeur a considéré une réaction légitime comme une offense contre le président Luis Abinader et en a profité pour me traiter de raciste. Je ne peux pas laisser passer cette occasion de clarifier ce fait non seulement à l’ambassadeur, mais aussi aux lecteurs ravis de son verbe séducteur.

Même si je suis minoritaire, j’ai toujours fait preuve de courage et d’honnêteté dans mes fonctions. Je n’ai utilisé qu’une métaphore d’enfants turbulents et en colère pour exprimer ma réaction, je regrette la lecture de l’Ambassadeur qui empoisonne la sérénité de ce débat productif. En tout cas, je réitère ma position de protestation contre les brutalités du processus de rapatriement, l’irrévérence et le manque de respect des déclarations de certains responsables dominicains sur Haïti et la déclaration du président disant qu’Haïti serait extrêmement riche si sa magie fonctionnait.

Monsieur l’Ambassadeur, si dans votre logique ma réaction constitue une offense, dans la mienne ce n’est qu’une simple demande de respect pour ce pays. Je dois vous rappeler, comme c’est le cas pour beaucoup d’hommes politiques, que je ne recherche aucun capital politique. Mon objectif est le rapprochement sincère et la restauration des vérités sur l’histoire commune des deux pays qui se partagent l’île.

Monsieur l’ambassadeur, avec toute votre science, dans votre prochaine intervention sur le vaudou, je vous conseille d’élargir vos horizons sur l’histoire des religions et les subtilités entourant les concepts de spiritualité et de religion.

Le vaudou n’est pas la création des Haïtiens

Plus qu’une religion, le vaudou est une spiritualité animiste qui recherche l’harmonisation entre les forces de la nature : la terre, l’eau, le feu et l’air. Cette cosmogonie croit au principe de la matérialité de l’esprit et de la spiritualité de la matière.

Avec la Physique Quantique, nous savons aujourd’hui que les particules de matière ne sont pas inertes, elles ont une âme, une intentionnalité et une grande capacité à influencer notre spiritualité. La symbolique vaudou a toujours été abordée sous l’angle de l’observation des phénomènes de la nature.

Toute cette littérature a tenté de lever le voile sur le vaudou, de parler de son parcours et de sa philosophie, mais surtout de s’opposer à son affirmation selon laquelle le vaudou est une création haïtienne séculaire faite de rites africains et de christianisme.

Naturellement, le syncrétisme résultant de la rencontre des civilisations africaines et européennes est indéniable, mais ce n’est pas une création haïtienne. C’est une civilisation ancienne très forte dans les pays aux origines africaines comme la Santeria à Cuba, le Candombe au Brésil et les palenques en Colombie.

Boric reconnaît les Mapuches

Dans ce contexte, je saisis cette occasion pour saluer le Président Boric, qui a mis en lumière la culture des Mapuches chiliens lors de son investiture. En ce qui concerne l’histoire commune des deux pays, je précise que je ne suis pas ce type de nationaliste, un prisonnier du passé qui ignore la réalité de la misère dans laquelle vit le peuple haïtien.

Mon objectif est de rétablir les vérités historiques sans saluer ni minimiser le rôle d’Haïti dans cette histoire partagée. Sur ce, j’apprécie votre rappel sur la préférence de Núñez de Cáceres pour une alliance avec la Grande Colombie qui ne modifie en rien les données sur les divergences de la population de l’Est quant à l’orientation politique à adopter.

Solidarité haïtienne avec la Grande Colombie

Je vous rappelle que l’Indépendance de la Grande Colombie a été acquise grâce aux valeurs de solidarité du mouvement de 1804 avec Francisco de Miranda et Simón Bolívar, qui ont vécu respectivement en 1805 et 1816 en Haïti. Malheureusement, le triomphe des mouvements n’élimina pas l’esclavage et, dans un paradoxe déconcertant, en 1826 Haïti ne fut pas invité à participer au Congrès des Nations américaines à Panama.

En ce qui concerne la contribution de l’État haïtien pendant la Guerre de Restauration de l’Indépendance Dominicaine, je ne considère pas la solidarité des dirigeants haïtiens avec les patriotes dominicains, en particulier Francisco del Rosario Sánchez comme un déni de leur nationalisme. On peut différencier sans discriminer, et l’exaltation de la différence est une richesse dans ce monde globalisé.

La révolution haïtienne était une lutte de classe

La Révolution haïtienne a été une lutte de classe qui a pris des allures de guerre raciale, puisque les maîtres étaient blancs et les esclaves étaient noirs. En ce sens, je n’ai jamais pensé que l’esclavage était une affaire de couleur, puisque les Blancs appelés à 36 mois ou commis étaient également soumis à la même oppression dans la colonie française.

J’apprécie encore une fois votre rappel de l’esclavage des blanches dans l’histoire de l’humanité et cela me semble plutôt une façon de minimiser la Révolution haïtienne de 1804, qu’il a décrite comme une nuit de cuillères. Aucune abolition par une révolution esclavagiste n’a abouti, malgré la notoriété de Spartacus, il est perdant de l’histoire. En vérité, la Révolution haïtienne est le triomphe de la liberté et de la dignité humaine et appartient à l’humanité.

Je n’aurais jamais imaginé l’accuser d’être de gauche, ce duel évoqué dans le cadre de son article précédent n’aurait jamais eu lieu. Cependant, il souffre que je recommande la méthode du matérialisme historique, si vous voulez mieux comprendre la Révolution haïtienne.

Le carrefour du président Luis Abinader

Le président Luis Abinader est à un carrefour historique pour jouer un rôle de premier plan dans le problème haïtien et ce, dans la logique des intérêts stratégiques dominicains. Il peut renforcer son leadership en appliquant des sanctions internationales contre les oligarques corrompus qui ont détruit l’économie haïtienne et dynamiser la coopération avec la police haïtienne pour lutter contre les gangs criminels.

Le développement d’Haïti contribuera certainement à la prospérité de l’économie dominicaine et vice versa. Malheureusement, les violations brutales et flagrantes des conventions internationales relatives aux droits des migrants ont réduit le prestige du président Abinader.

Il reste encore du temps.

ÉDITEUR / ÉDITRICE

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Jean Gary DENIS
Jean Gary DENIS est Sociologue et Historien. Aussi, il est directeur exécutif de l'Institut Haïtien d'Observatoire des Politiques Publiques (INHOPP).
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