Radiographie du système de sécurité d’Haïti : Quelle approche pour une véritable solution de longue durée ?

BLOG

Depuis des lustres, la question de sécurité des personnes et des biens n’a cessé de faire des débats dans un monde en effervescence constante. Ceci dit, la violence organisée a toujours existé et ses manifestations sont excessivement préoccupantes en raison des souffrances qu’elles provoquent chez les victimes, les familles et les communautés.

Remontons un peu le cours de l’histoire. Les études ont montré que l’histoire de la violence ou encore de l’insécurité a débuté au Moyen Âge où des bandes armées connues sur l’appellation « écorcheurs » investissent les rues des villes et des campagnes dès la tombée de la nuit. Dans cette dynamique, se déplacer d’un point à un autre se révèle dangereux voire calamiteux, puisque la machine infernale de la violence aveugle circule à vive allure.

Il va sans dire, cette période est peut-être trop lointaine pour percer le mystère qui se cache derrière la réalité de la violence à travers le monde. Mais plus près de nous, malgré les progrès scientifiques constatés où la science semblait avoir réponse à tout à la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, la criminalité continuait de circuler à pas de géants. Plusieurs grandes villes en Europe sont sous alerte dont Paris, la ville Lumière, avec ses grands boulevards, ses beaux cafés. Les historiens ont même révélé que dans le bureau du préfet de police, Louis Lépine, une carte montrait en rouge plusieurs arrondissements où il est déconseillé de fréquenter le soir, par exemple à Pigalle ou à Belleville, aux abords des grands théâtres et au bois de Boulogne. Ces espaces étaient donc le théâtre des scènes de violence où des malfrats attaquaient les bourgeois.

Qu’en est-il pour Haïti, la première république noire du monde ? La violence ou encore l’insécurité n’a jamais été une notion absente du quotidien du peuple haïtien. Elle remonte même à la genèse du pays. D’ailleurs, même le père fondateur de la nation, Jean-Jacques Dessalines, fut crapuleusement broyé par la machine de la violence le 17 octobre 1806. Environ un siècle plus tard, soit le 8 août 1912, le président Cincinnatus Leconte fut tué à Port-au-Prince. Puis, le 28 juillet 1915, le président Vilbrun Guillaume Sam fut pitoyablement lynché à Port-au-Prince. Plus près de nous, l’assassinat horrible du président Jovenel Moïse dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021 marque le point culminant de l’insécurité et de la criminalité en Haïti, en particulier à Port-au-Prince et ses environs.

Il faut dire, au cours de la dernière décennie, c’est en 2018 que la prédominance des gangs armés est constatée dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Mais à partir de 2021, c’est la dictature totale des gangs armés. L’aggravation de la situation a connu une telle accélération que d’aucuns la qualifient de descente aux enfers. À Port-au-Prince et même dans certaines villes de province, le banditisme bat son plein. Ce sont les bandits qui dictent leurs lois en déjouant les forces de l’ordre. Les bandits tuent, kidnappent, rançonnent, violent et volent en toute quiétude face à une justice qui piétine, une population nonchalante et une force de police sous équipée, démotivée, désorganisée et désorientée. Une telle situation a poussé de nombreux cadres ou encore élites intellectuelle et économique d’Haïti à fuir le pays pour s’installer en grande majorité aux États-Unis, au Canada, en République Dominicaine et en Amérique latine. Il s’agit d’un véritable drainage des cerveaux du pays.

Aujourd’hui, il est une évidence, il faut freiner la machine de la violence ou encore de l’insécurité et ce, de toute urgence. Pour répéter Julie Laforest : « La violence n’est pas une fatalité. Il est tout à fait possible de réduire son ampleur et ses conséquences, que ce soit à l’échelle de la société, des communautés, des milieux de vie, des familles ou des individus. »

Quelle approche pour aborder le problème de la sécurité nationale ? La violence ou du moins l’insécurité qui règne en maître en Haïti aujourd’hui ne saurait être résolue par l’approche analytique, cartésienne et linéaire qu’on a toujours essayé qui consiste à dégager une compréhension détaillée et la plus exacte possible de chaque composante du système de sécurité nationale. Je ne suis pas sûr que cette forme d’approche pourrait tenir la route. Face à la complexité du problème de sécurité nationale qui atteint son niveau de pourrissement, comme pourrait le qualifier le Professeur Leslie François Saint Roc Manigat, il serait donc envisageable de recourir à l’approche systémique ou circulaire en vue de construire une vision dynamique de la situation en cherchant à se concentrer sur les liens et les interactions qui régissent le fonctionnement du système tout entier. Cette approche pourrait faciliter la compréhension des points d’action privilégiés pour l’apport de solutions durables aux problèmes identifiés et l’orientation des politiques de gestion du système de sécurité du pays.

En définitive, il faudrait comprendre que la politique, l’économie et le social ne sont pas isolés les uns des autres, ils sont intimement liés. En clair, chacun a significativement une incidence positive ou négative sur le système de sécurité nationale. Donc, il faut agir sur le système dans sa globalité pour pouvoir non seulement connaître son fonctionnement, mais aussi pour simuler son comportement et son évolution à long terme.

Auteur / autrice

  • Pierreman-Fils Pierre est ingénieur civil diplômé de la Faculté des Sciences Appliquées (FDSA) d'Haïti. Il a obtenu un DESS et une Maîtrise en Génie des Ressources Hydriques de l'ISTEAH. Il est actuellement en bi-diplomation au doctorat en génie civil (Axe de spécialisation : Hydraulique) à Polytechnique Montréal – ISTEAH. Il est Maître d’enseignement à l’ISTEAH. Sa recherche doctorale porte sur la modélisation de la performance des pratiques de gestion optimale des eaux pluviales en Haïti par l’approche systémique.

    Voir toutes les publications
Tagged