Inégalités et pauvreté en Haïti : à mieux comprendre ses enjeux et conséquences

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J’observe d’une part, la majorité de la population haïtienne surtout les jeunes ; sans contrat de travail formel ; sans éducation de qualité ; sans accès aux services de base ; travaillant informellement pour assurer leur survie et de leur famille. De l’autre bord, j’observe une mince quantité de personne avec un bon niveau d’éducation travaillant sous un contrat avéré, un accès aux services de base nécessaires et qui ne se préoccupent pas trop de ce quoi va nourrir leur famille demain.

Cette situation inégalitaire malheureusement décrit clairement la conjoncture de la société haïtienne en 2021. Et, on se demande si cela serait-elle l’une des principales causes de violence et de criminalité dans certains quartiers à Haïti ? Une question quand même facile à répondre si l’on veut rester superficiel, mais complexe si l’on souhaite être systémique dans les analyses en abordant les côtés que souvent l’opinion publique n’aborde quasi jamais. Étant grandi dans –, et victime des inégalités, j’ai choisi de réaliser mes études de doctorat en sciences géographiques (spécialités : géographie de l’environnement et géographie humaine-inégalité-pauvreté) justement pour mieux comprendre ses origines et les facteurs sous-jacents nourrissant la pauvreté sans fin et les inégalités constantes dans le monde notamment à Haïti mon pays natal. À peu de choses près, dès mes premières années d’études – dans le cours de géographie des inégalités dispensé par le professeur Déry Steve à qui j’éloge ici –, je me rends compte que les opinions publiques haïtiennes dans la plupart des cas sur ces deux phénomènes sont loin d’être profondes ; ce qui leurs rendent presque inutiles, sans valeurs d’utilisations dans quelconque politique de changement encore moins guider et informer la population.

Certes, ce ne sont pas des concepts aisés à analyser, néanmoins il faut être multidimensionnel dans les débats – avoir une vision anthropologique, philosophique tout comme géographique pour mieux comprendre comment les inégalités et la pauvreté bouleversant la société haïtienne aujourd’hui sont à l’œuvre.

Commençons par les définir – les inégalités, selon les Nations Unies, elles signifient un écart entre les hommes dans l’euphorie des biens matériels, tout simplement. Je m’appuie sur l’énoncé de Lamas Bárbara Gomes (2005) pour caractériser de manière plus cohérente les inégalités, du moins plus proche de la réalité haïtienne. L’inégalité est la différence des conditions de vie d’une population d’un même lieu, qui ne saurait être considérée seulement comme une différence de revenus, mais aussi comme une différence de qualité et d’accessibilité aux services sociaux de base entre autres éducation, santé et justice ; d’opportunités d’emploi, de protection des droits de l’homme et d’accès à la prise de décision (pouvoir et représentation politiques). Nul être humain ne mérite de vivre sous privations de ces éléments indispensables à la vie. Cependant, la grande majorité de la population de la République d’Haïti vit, meurt et laisse ses petits-enfants dans de telles conditions.

Banque Mondiale, dans un rapport publié en 2017 a classé 15 pays les plus inégalitaires au monde : Haïti est apparue en deuxième place tout simplement derrière la Bolivie, devant le Brésil, l’Équateur et le Honduras. Parler d’inégalité haïtienne aujourd’hui – il faut aborder le problème dans un contexte historique et structurel également se poser les bonnes questions : l’inégalité haïtienne ne forme-t-elle pas un système, un héritage de la période coloniale et fonctionne jusqu’à présent comme un refrain ? Peut-être oui ! toutefois trop tôt pour le dire. Pour mieux dénouer mon raisonnement, allons au constat fait par la Banque mondiale dans son autre rapport publié en avril 2021 sur la vulnérabilité et le développement économique et social d’Haïti : les 20 % les plus riches de la population haïtienne détenant plus de 64 % du revenu total du pays, contre moins de 2 % détenus par les 20 % les plus pauvres. Autrement dit, une minorité des individus du pays sont dans des conditions structurellement plus avantageuses que d’autres, et cette position leur permet d’accumuler encore plus de richesses au détriment d’autres. Cela nous amène à poser en plus une autre question, est-il possible de réduire la criminalité et la violence à Haïti dans de telle conjoncture ?

Je ne suis pas convaincu ! Je n’ai même pas de suggestions immédiates et directes à cet effet, car on ne peut pas résoudre le problème de criminalité sans concilier les inégalités de revenus et sociales dans le pays. Je considère cela – le plus grand défi des décideurs d’Haïti « concilier l’économique et le social ». Il ne faut pas se leurrer : si Haïti est dirigé par des gangs armés aujourd’hui c’est à cause de l’inégalité sociale et économique qui gangrène le pays depuis longtemps peut-on le constater sur la figure.

Source : Quandl (2021)

Inégalités des revenus (GINI)

Plus la valeur est proche de zéro, plus la société a une répartition égalitaire des revenus. Inversement, plus la valeur est proche de 100, plus les revenus sont très inégalement répartis dans toute la société.

Les recherches des dernières années portées sur les facteurs sociaux et économiques des pays les plus inégalitaires dans le monde mené par Oxfam et les chercheurs – Massey et Rothwell soulignent clairement que des mesures rapides et efficaces sont nécessaires pour éviter que le fossé entre riches et pauvres ne devienne infranchissable et, par conséquent, que d’autres formes d’inégalité s’approfondissent. Haïti n’a-t-elle pas déjà franchi cette phase ?

Distributions inégalitaires à Haïti, une option politique ancestrale ?

Pour comprendre en partie l’origine des inégalités haïtiennes, revenons au lendemain de l’indépendance de 1804. Une période qui a été marquée par la distribution de terre. Il faut avant tout rappeler que la révolution haïtienne a été une révolution agraire. L’un des points essentiels pour les esclaves dans les actes de la révolution de Saint-Domingue : était la garantie des parcelles de terre aux nouveaux libres. Cependant, la politique agraire émit par Dessalines en 1805 était une politique qualifié d’« anti paysanne » par Marc Dufurmier en raison du fait que les affranchis n’en avaient aucunement reçu leur part comme on leur avait promis avant l’indépendance qui pourtant leur revenait de droit comme l’ont mentionné Laroche (1996) et Fick (1998). Une politique qui a forcé la migration de ces affranchis vers les montagnes pour occuper des terres inhabitées et pour se transformer en propriétaires libres et chefs de ses exploitations.

Après la mort de Dessalines en 1806, les gouverneurs qui lui ont succédé ont adopté la même politique agraire : distribution inégale des terres au profit des officiels de la guerre de l’Indépendance. Vers 1825, le foncier à Haïti était complètement effrité par l’indivision de taille très variable. Les petites exploitations avaient droit à moins de 6 carreaux (1 carreau égale 1,29 hectare) et les grandes pouvaient avoir plus de 20 carreaux. Selon une recherche publiée par Renaud en 1934, cette forme de partage a plutôt augmenté les inégalités entre les exploitants et a rallumé la méfiance chez les petits planteurs par crainte de perdre plus de terre. Renaud a mentionné plus tard dans sa publication que certains de ces tenants n’en avaient nullement un plan d’utilisation de terres agricoles, ils prévoyaient de réutiliser la main-d’œuvre des esclaves marrons qui ne devraient plus être à leur service et cela à susciter leur rébellion. On y est au dernier rapport officiel de distribution de terre datée de 2010 : on y remarque de 1980 à 2010 que les inégales de terres ont accru sérieusement, étant donné qu’en 2010, seulement 0,5 % des exploitations agricoles possèdent 5 carreaux ou plus, contre plus de 70 % possédant moins de 1 carreau par exploitation. À partir de cela on peut comprendre plus naturellement pourquoi est-il si difficile pour les pauvres Haïtiens d’être riches et bien facile pour les riches Haïtiens d’être plus riches.

Cette forme de répartition inégalitaire est un exemple à considérer ; même fortement, car elle démontre clairement que depuis le 19e siècle, on n’a jamais changé de politique de distribution de ressources – elle est plutôt maintenue par chaque nouveau gouvernement – autrement dit – un système qui se nourrit au fil des ans d’administration en administration qui est effectivement soutenu par une mauvaise répartition de revenus et une belle politique de conservation visant à concentrer la richesse du pays entre les mains d’un petit nombre. En 2020, les conséquences de tout cela sont quand même surprenantes, mais sans surprise : la Banque mondiale classait Haïti ainsi le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, avec 80 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté avec moins de 2,41 $ par jour et 54 % dans une pauvreté abjecte avec moins de 1,23 $ par jour.

Du point de vue sociologique, les inégalités et la criminalité en Haïti

Sur le plan de la sociologie – de façon plus simple, la criminalité peut être distinguée en violence et non-violence. Souvent j’entends à la radio – la cause principale de l’augmentation de crimes dans le pays est la pauvreté elle-même. Un mensonge bien expliqué : je suis désolé de le dire. La criminalité augmente quand il existe une disparité économique entre riches et pauvres au même endroit. Hagan et Petersen (1995) affirment que c’est le sentiment de frustration que ressentent les personnes à faible revenu lorsqu’elles perçoivent la prospérité des autres, également appelée « privation relative ». Si l’on prend l’exemple : Haïti n’est pas en guerre avec un autre pays, pourquoi a-t-on un nombre d’homicides de 1 478 seulement en 2020 ? Un des plus élevés au monde parmi les pays qui ne sont pas en guerre a relaté les Nations Unies. Il convient de prendre acte que les facteurs économiques, tels que le manque d’opportunités, d’accessibilités et les inégalités de revenus, sont le moteur des comportements criminels, particulièrement violents a souligné les Nations unies dans un rapport en 2019 sur Haïti. En 2021, au moins plus d’une personne est enlevée par jour en Haïti notamment à Port-au-Prince – un cas d’assassinat toutes les 15 minutes Banque mondiale (2021). En conséquence, le gouvernement se concentre essentiellement sur le droit pénal pour réduire la criminalité dans le pays (l’augmentation du nombre d’arrestations, des peines et le durcissement de la réponse de la police). Et toujours, des résultats limités et sans succès. Certes cela concerne la sécurité publique, mais le droit pénal haïtien ne saurait jamais être capable de même affaiblir tout seul les groupes criminels dominant le territoire notamment à Port-au-Prince. Cette recette d’affronter certains groupes armés cibles n’est pas nouveau, c’est la plus traditionnelle utilisée par l’État haïtien pour réduire la criminalité.

Cette situation lamentable démontre l’urgence de faire les choses autrement pour réduire les crimes violents dans le pays. En effet, cela doit partir par la réduction des inégalités, provenant de nouvelles politiques publiques visant à répartir les revenus entre toutes les classes sociales de la nation. Plusieurs économistes l’ont déjà mentionné : la croissance économique est beaucoup plus efficace pour lutter contre la pauvreté là où les inégalités de revenus sont plus faibles. De plus, des taux de croissance économique élevés et stables de la population conduisent à de meilleurs indices de qualité de vie. Il faut également prioriser les actions publiques et privées et surtout les investissements dans l’éducation de base, tout comme les investissements dans les infrastructures, les nouvelles technologies et les incitations au travail, car ils permettront d’augmenter le niveau de vie de la population, contribuant ainsi au développement social et à la réduction des taux de criminalité. Il importe également d’adopter des mesures d’inclusion sociale et humanitaire – réduire le chômage, accroitre la participation communautaire et mettre l’accent sur la resocialisation criminelle. Je pense que les gouvernements haïtiens devraient chercher par-là, la solution que d’user uniquement le droit pénal.

Enfin, je commettrais les mêmes erreurs que d’autres si je considère ici la pauvreté et les inégalités de ces lieux uniquement comme des problèmes quantitatifs, numériques ou de revenus, loin de-là, elles sont également des phénomènes qualitatifs et, par conséquent, structurels par le fait que les inégalités compromettent l’exercice des droits humains, le bienêtre, une vie digne, propre et la participation démocratique de ces personnes. Que l’on habite tel quartier reconnu pour la qualité de son environnement architectural, social et fonctionnel, confirme le rang social que l’on a, comme un capital de reconnaissance sociale.

Les décideurs haïtiens tout comme les gouvernements du monde entier doivent prendre des mesures immédiates pour construire une économie centrée sur l’humain qui suit des principes égalitaires et qui valorisent ceux qui importent vraiment dans la société plutôt que d’alimenter la quête insatiable de profit et de richesses.

ÉDITEUR / ÉDITRICE