La politique, en tant que science, puise sa vie dans les autres sciences, dans les interactions existant entre elles, dans l’observation faite des rapports entre les strates sociales, les groupes sociaux, avec tout ce qu’ils comportent comme germe antagonique. La politique s’abreuve non seulement dans la source quintessencielle de toutes les autres sciences, mais aussi dans les arts; tout ce qui se passe dans les autres sciences et dans les arts peuvent surgir également dans l’activité politique, en tant qu’espace de vie, de survie, de succès et d’échec.
Un événement inédit s’est produit dans la musique haïtienne au début du mois de mai 2023 et les effets bénéfiques se font sentir même au-delà de nos frontières terrestres, maritimes et surtout culturelles: la sortie d’un opus, celui du groupe musical haïtien nommé «ZAFEM».
La musique haitienne réputée richissime dans les années 60 allait connaître un succès fou à la fin des années 70, puis l’extase dans les années 80, pour connaître le commencement de son périclitement au début des années 90; où elle a commencé à se dénaturer, à pâlir pour tomber en syncope profonde bien avant l’an 2000. On dit en syncope, par probité, car elle n’était pas totalement morte. Un faible reste, traduit par l’existence de groupes musicaux tels les orchestres Septentrional et Tropicana D’Haïti, “le system Band”, “l’ensemble select du Roi Coupé”, “le Tabou Combo”, “le Skah Shah number One”, les Shleu Shleu, sans oublier “le prestigieux Magnum Band”, pour la plupart presque trentenaire ou quadragénaire, en 1990, résistait aux adversités internationales de l’époque auxquelles nous faisions face dans le domaine de d’aliénation culturelle, qui nous rongeaient une part importante de l’âme haïtienne: notre musique.
On parlait de médiocrité musicale partout où l’on causait musique. Les complaintes ne cessaient jamais, et la soif des mélomanes haïtiens restait inassouvie, inaltérable dans une nostalgie visible, ressentie partout. Bref, à partir de 90, on assiste au délavement du COMPAS de Nemours Jean-Baptiste, de Wébert Sicot, et à la raréfaction d’autres rythmes musicaux qui nous étaient très chers avant, qui faisaient notre fierté, paraient notre identité musicale de peuple tels que le nago, le yanvalou, le ibo, le pétro, la contre-danse, le djoumba, qui, tous, parfois s’inséraient majestueusement dans les interlignes de nos partitions du compas “direct”, “mélasse”, “Roussi” ou “Manba”, quand les arrangeurs, bien sûr, étaient de taille de bonne trempe; quand les clés de sol ne s’apparentaient pas encore à la lettre “f” du vocable “fuck”, quand les croches, les double, triple et quadruple-croches se bousculaient dans nos avenues musicales, par vantardise et fierté d’être nègres, donc celle de devoir être toujours meilleurs(es).
De la fierté, il commençait à ne plus y avoir cela, l’embargo économique imposé à Haïti s’était jumelé à un embargo imposé à nous soit par le hasard, soit par la paresse naissante de l’influence occidentale de l’époque, soit par une acculturation nocive, exterminatrice. Pour danser, pour noyer leurs passions et chagrins, les gens ne se contentaient qu’à ce qu’ils pouvaient trouver; au disponible dans le grenier musical haïtien; comme agenouillés devant un fait irréversible, pour donner du sens au diction “faute de grives on mange des merles”. Faute d’avoir ce que l’on souhait, il fallait inéluctablement se contenter de ce que l’on avait, car on devait continuer à vivre, dans ce cas, à danser. En quelques sortes, lorsque l’on n’avait pas le meilleur, on le remplaçait par du moins bon afin de ne pas rester sur sa faim ou sur sa soif. Le “bug de l’an 2000” ne nous ayant pas écrabouillés, comme les rues nous l’avaient fait croire, en nous parlant d’une grosse roche qui allait nous tomber tous sur la tête, selon la croyance populaire haïtienne de l’époque (rires), à l’aube dudit an, où il y avait encore des groupes musicaux assez valables qui résistaient, on ne pourra pas les énumérer tous ici, il faut dire que la portée internationale n’était plus la même comme avant.
De 2000 à 2020 des groupes comme “Zenglen”, “Klass”, “Nu Look”, “Kanpèch”, “Koudjay”, “Ram”, “Boukan Ginen”, “Boukmann Eksperyans”, RÈV”, ont consenti des efforts colossaux, appréciables, louables, mais malgré tout insuffisants pour propulser le drapeau haïtien au faîte du panthéon de la musique mondiale, comme vient de le faire ZAFEM, en mai 2023, soit trois ans après leurs premiers vagissements à succès sur les réseaux sociaux en juillet 2020.
ZAFEM, composé en partie de transfuges de plusieurs des groupes suscités -Déner Céïde du Tabou Combo, Réginald Cangé de Zenglen- a su placer Haïti sur le grand marché musical mondial et sur le géant tableau de la visibilité internationale suite à la sortie de son album: Las. (Allez vérifier sur Musixmatch, et c’est l’unique formation musicale à y figurer).
La peur du cuivre, le manque excessif d’assiduité dans la quête des mots qu’il faut pour camper la squelette parolière des chansons, la vagueté des mélodies, le manque de dextérité des musiciens, l’ignorance totale du solfège, l’impatience de sortir vite les albums, tous ces passifs, pris à contre-pied par la formation à Réginald Cangé, expliquent le succès de ZAFEM en 2023 après presque 3 décennies de crise, même si nous ne cessions pas de produire et de nous produire malgré tout.
De 90 à 2020, on a connu une longue période de “DUPE MUSICALE”, hormis les efforts de quelques rares formations qui gardaient encore haut le flambeau, selon leur capacité.
Sur l’échiquier politique haïtien le constat hideux de la scène musicale est pareil, et un ZAFEM politique peut surgir n’importe quand
Les faux espoirs politiques, en termes de projets et de plans, ont défilé devant les yeux ébahis de honte et de consternation du peuple haïtien depuis après les élections du 16 décembre 1990 dont l’expression a été tuée. Les alternatives offertes, on ne va s’en apercevoir qu’après les déconvenues, sont toujours empoisonnées, stériles ou vides en contenu. Quand les partis font du porte-à-porte, ce sont de véritables anges, mais une fois au pouvoir, leurs membres devenus alliés du pouvoir enfilent leurs vrais pelages de loups, de chats griffus, pour montrer leurs crocs et déchirer ceux et celles osant critiquer ou suggérer quoi que ce soit en ne foutant pratiquement rien au pouvoir. Pour faire allusion à l’esprit musical du début du texte, les musiciens politiques montent sur scène et, au lieu de jouer de la musique, font du bruit jusqu’à l’endommagement des tympans de ceux qui les ont mandatés.
Au pouvoir, chez nous, on fait bombance, on se fait voir, on se fait respecter par le truchement des armes de grand calibre dont on dispose. “Ou pa jwe ak chèf, ou pa jwe ak pouvwa, yon chèf pa yon jwèt”…on est prêt à commettre des massacres par heure, plutôt que de se voir détrôner, mais on est pas là pour servir la société, on ne sert pas les autres, mais les siens.
D’ailleurs, ce ne sont pas seulement ceux et celles qui sont au pouvoir qui promettent et mentent. Il n’est même pas question qu’il y ait campagne électorale pour se faire berner, couvrir de fausses promesses, et si vous osez, après que la date de promesse aura été échue, demander des comptes liés auxdites promesses; mêmes les victimes de l’arnaque voudront vous manger, vous broyer les os.
Le peuple haïtien aime les “bluffers”, s’entichent des menteurs, il a une passion effrénée pour les “fous doux”, et on ne peut pas le faire entendre raison tant l’ignorance et l’hébètement le plongent dans un état de sclérose, de morbidité liée à la vulnérabilité, à la disette entretenues par l’appareil étatique même.
Par conséquent, on a un peuple meurtri, malmené, éreinté par des malfaiteurs politiques qui jouent sur, non seulement, cette ignorance, mais, de surcroît, qui en abusent !
On peut se rappeler les promesses mal taillées de l’opposition anti-Jovenel.
Jovenel, lui aussi, nous avait bombardés de promesses lors de sa campagne électorale et dans l’exercice de la fonction exécutive.
Cette opposition, après l’assassinat du 7 juillet, ayant accédé en grande partie au pouvoir, a tout foutu en l’air, en envoyant le peuple combattant à la merde la plus gluante et la plus puante; on a plus besoin des poseurs de barricades, pris pour des imbéciles.
Si le peuple qui a combattu les “FRAPH” entre 1991 et 1994 a été dupé après le “rétablissement de l’ordre constitutionnel” d’après le 15 octobre 1994; il l’a été à nouveau après les élections du 28 novembre 2000; il a été berné après les séances de natation collective à la piscine de Montana, après les proclamations des résultats électoraux partiels de 2006; il l’a été après avoir incendié la ville des Cayes à la suite des élections de 2010; il l’a été après les joutes contestées puis acceptées et applaudies de novembre 2016, sans compter le grand bluff, d’après l’exécution du président Jovenel, dont on ressent encore les coups de hache en plein cœur, lesquels persisteront encore peut-être jusqu’en 2027, d’autant qu’on élimine toutes possibilités qu’il y ait des élections sous peu, stratégie de “jouir du pouvoir jusqu’à en avoir le dégoût d’être inutile, jusqu’à s’enivrer “!
La dupe politique en Haïti est plus atroce que la dupe musicale. Les groupes musicaux des années 90, 2000, 2010 n’étaient ni nuls ni inutiles. On serait trop ingrats et bêtes. Mais, on sent qu’il manquait quelque chose.
N’est-il pas une grande et forte possibilité de ZAFEMISATION POLITIQUE EN HAÏTI, tel un boa qui se dresserait et, du coup, nettoierait l’échiquier haïtien, comme par magie, de ses gangues coriaces et vieilles de tant d’années d’inutilités et de stérilités? Y aura-t-il une émergence politique un jour qui saura faire rayonner Haïti de ses mille feux en enterrant nos anciens filous politiques d’antan pour incapacité, duperie et vols ?