Alors que Milot désigne depuis 1805 la zone hébergeant le siège politico-administratif d’Henry Christophe, la capitale du Royaume du Nord en 1811 et la plus grande forteresse des caraïbes construite au 19e siècle, Christopheville consiste un projet politico-historique de nouvelle nomenclature de cette glorieuse commune fondée par Henry Christophe. Aussi, Christopheville se veut un projet d’égalité et de justice sociale par rapport à la discrimination dont sont victimes certains héros de l’indépendance d’Hayti. En Hayti, très peu de communes, de sections communales et d’habitations ont le grand honneur de porter le nom de quelques héros de l’indépendance. C’est le cas de la commune de « Dessalines » portant le nom du fondateur de la République d’Hayti, Jean-Jacques Dessalines, et de la commune de « Pétionville » portant le nom d’Alexandre Pétion. D’autres héros et personnages tels qu’Henry Christophe et bien d’autres encore ne bénéficient pas ce mérite tandis qu’ils ont énormément contribué dans la liberté des esclaves et dans l’indépendance d’Hayti à la grandeur de Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines. Est-ce l’effet d’une discrimination ou d’une ignorance ? Cette question fait beaucoup de débats dans la communauté haytienne. Toutefois, le désir de la population de changer le nom de quelques communes et sections communales en Hayti semble ne pas concorder aux velléités de l’État. En Hayti comme dans de nombreux pays ayant connu la colonisation et l’esclavage, le passé glorieux et prospère est conservé sous des attraits culturels. À travers ce passé, les habitants en trouvent la force et le courage de vivre et d’en être fiers. Par contre, l’inverse est également vrai. Car, certaines communautés conservent une identité par ignorance qui ne fait pas honneur au terroir et à l’héroïsme indigène. À cet effet, Milot, une commune haytienne possédant le plus important patrimoine culturel de la Caraïbe, ne fait pas exception en portant le nom d’un ancien colon et esclavagiste français qui voulait rétablir l’esclavage même après la proclamation de la liberté générale des esclaves à Saint-Domingue, actuellement Hayti. Face à ce mauvais pressentiment historique, des pays y inclus Hayti ont déjà procédé au changement de nom de certaines divisions territoriales. En effet, considérant que Milot fut la capitale du Royaume du Nord administré par Henry Christophe et conscients de l’importance de ses œuvres uniques pour l’humanité entière, il parait une obligation à l’État haytien d’honorer le « Roi-Bâtisseur » en modifiant le nom de Milot à celui de Christopheville. Car, la reconnaissance est la mémoire du cœur comme l’action de grâce revêt une attitude de reconnaissance envers nos héros.
Histoire, géographie et démographie de Milot
Milot est fondée en 1805 (Fils-Aimé & Hypolyte, 2009) avec l’arrivée d’Henry Christophe muni d’un plan de développement territorial pour la zone. Avant l’époque christophienne, cette zone qui ne s’appelait pas encore Milot était dirigée par un colon esclavagiste français appelé François Milot (Ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales & Ministère des travaux publics, transports et communication, 2022). À partir de 1806 où est élu président le Général Henry Christophe, ce dernier fait de cette zone stratégique la capitale de son « Royaume du Nord » et y construisit sa forteresse (Citadelle Laferrière), son palais (Palais Sans-Souci) et ses dépendances (DAA, MPCE & PNUD, 2013). Mais, ce n’est pas tout, il a réalisé de nombreux projets militaires et socioéconomiques dans tout le royaume du Nord qu’il administrait comme président de 1806 à 1811 puis comme roi de 1811 à 1820. À partir de 1821 sous la présidence de Jean Pierre Boyer, cette zone allait être baptisée sous le nom de Milot et parallèlement fut élevée au rang de commune en cette même année (Ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales & Ministère des travaux publics, transports et communication, 2022). Milot est un haut lieu symbolique et stratégique en termes de défense nationale. Son symbolisme universel s’explique d’abord par le fait qu’elle abrite la plus grande forteresse jamais construite des Caraïbes avant et pendant le 19e siècle, à savoir la Citadelle Laferrière, le Palais Sans-Souci et les bâtiments des Ramiers constituant le Parc National Historique Citadelle, Sans-Souci, Ramiers (Olsen, 2024 ; De Cauna, 2023). D’abord, ce Parc héberge les premières œuvres construites par des anciens esclaves libres au monde. Car, ce lieu témoigne de l’existence d’une panoplie de monuments culturels et historiques construits par des anciens esclaves parvenus à expulser le colonisateur et l’esclavagiste français hors d’Hayti, ce afin de se protéger de possibles représailles françaises.
Pour la petite histoire, après la colonisation espagnole allant de la période de 1492 à 1697, c’est-à-dire, pendant la colonisation française (1697-1803), cette région se trouvait sous le contrôle colonisateur de deux anciens colons français appelé Milot et Sans-Souci (Vincent, 2023). L’oraliture raconte que Milot était dur avec les esclaves et prônait le rétablissement de l’esclavage après la proclamation de la liberté générale des esclaves en date du 29 août 1793. Il fut tué lors de la guerre de l’indépendance en novembre 1803 tandis que Sans-Souci a eu la faveur populaire grâce à son humanisme envers les esclaves. Aussi, les guides touristiques de Milot racontent que lorsque Henry Christophe voulait construire son palais (connu sous le nom de Palais Sans-Souci aujourd’hui) et la Citadelle Laferrière dans cette région, Sans-Souci refusait de lui céder l’espace. Chaque matin, Sans-Souci faisait une petite balade à cheval. On raconte qu’un jour Henry Christophe lui tendit un piège et l’élimina pour s’approprier de la terre quelques années plus tard dans l’objectif de planifier son projet d’État. Pour ce faire, après quelques temps, il a réuni avec des notables de la région pour exposer ses idées stratégiques de développer la région. C’est ainsi que cette zone fut devenu la capitale du Royaume du Nord.
Milot est l’une des communes haytiennes les plus visitées par les touristes locaux et internationaux. Chaque année pendant seulement la semaine sainte, la commune de Christophe reçoit plus de 100 000 touristes (Ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales & Ministère des travaux publics, transports et communication, 2022). Ce chiffre ne tient pas compte des visites touristiques reçues au cours des 51 autres semaines de l’année. Car, il n’est pas un secret que des touristes du monde entier viennent en Hayti seulement pour visiter les fameux monuments construits par Henry Christophe. Toutefois, ces monuments font partie d’un ensemble de monuments, Parc National Historique Citadelle, Sans-Souci, Ramiers (PNH-CSSR), classé patrimoine historique mondial par l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO). Certaines des fortifications mises en œuvre par Henry Christophe ont été imaginées par l’Empereur Jean Jacques Dessalines au lendemain de la guerre de l’Indépendance en vue de prévenir un éventuel retour des français en Hayti et afin d’instaurer la postérité du royaume du Nord. La Citadelle Laferrière est située à près de 900 mètres d’altitude. Elle domine la plaine du Nord, l’Acul-du-Nord, Limbé, la baie du Cap-Haytien, la Grande Rivière du Nord et la ville du Cap-Haytien. C’est une œuvre inachevée. La petite histoire raconte que le rêve de Christophe était de voir Port-au-Prince, la capitale du pays actuellement, située à environ 300 km. Aussi, il est à relater que c’est à la Citadelle Laferrière que l’on retrouve la plus grande concentration d’artillerie du 18e siècle au monde. Si cette commune ne porte encore le nom d’Henry Christophe, par contre, quelques-unes de ses rues, ruelles et impasses portent des noms liés au régime d’Henry Christophe suivants : Marie-Louise Coidavid, Baron de Vastey, Comte de Valière, Du Marquis, François Améthyste, Prince Jean, Prince Eugène, Sans-Souci, Prince Noël, Duc du Fort Royal, Anne-Athénaïse, Rue de la Reine, Chevalier de la Croix, Rue de Laferrière, Rues des Dignitaires I, II & III, Arsenal, Rue Républicaine, etc.
La commune de Milot se trouve en Hayti dans le Département du Nord. Elle loge le Parc National Historique Citadelle, Sans-Souci, Ramiers (PNH-CSSR). Elle est située entre 19o 36’ 32’’de latitude Nord et 72o 145’’ de longitude Ouest. La commune de Milot est bornée au Nord par la Commune du Cap-Haytien (Arrondissement de Cap-Haytien), au Sud par la Commune de Dondon (Arrondissement de Saint-Raphaël), à l’Est par les Communes de Quartier-Morin (Arrondissement de Cap-Haytien) et de Grande-Rivière-du-Nord (Arrondissement de Grande-Rivière-du-Nord), et à l’Ouest par la Commune de Plaine-du-Nord (Arrondissement de l’Acul-du-Nord). La commune de Milot s’étend sur 71.64 km2 (IHSI & CNIGS, 2012). La commune de Milot a une population avoisinant 40 000 habitants et est plus vaste que sa commune voisine du Cap-Haitien dont sa superficie est de 53,5 Km2. Au tableau 1, il est présenté la superficie de chacune des sections communales de Milot eu égard aux données de l’IHSI et du CNIGS (2012).
Tableau 1. Superficie des sections communales de Milot
Sections communales | Superficies |
1ère Perches-de-Bonnet | 28.87 Km2 |
2ème Bonnet-à-l’Évêque | 13.75 km2 |
3ème Génipailler | 29.02 km2 |
Superficie totale : 71.64 Km2 |
Pourquoi « Milot » doit changer son nom en « Christopheville » ?
D’abord, pour comprendre la dynamique du changement de noms de certaines zones en Hayti, il faut remonter au texte publié par le Conseil économique et social de l’ONU (2007) lors de la Neuvième Conférence des Nations Unies sur la normalisation des noms géographiques. Ce texte explique l’origine du changement de noms de certaines habitations qui portaient les noms de famille des anciens colons français lorsque les grands généraux de l’Armée Indigène d’Hayti ont pris procession des propriétés des anciens colons français. De là, le changement de noms de communes et d’habitations rentre dans la consolidation de la culture et de l’histoire haytienne. Suivant le texte présenté par Hayti à la Neuvième Conférence des Nations Unies sur la normalisation des noms géographiques (Conseil économique et social de l’ONU, 2007), près d’une cinquantaine de communes et d’habitations ont été renommées jusqu’en 2007. C’est le cas de la Grande Rivière du Nord qui s’appelait Sainte Rose de Lima, de Dondon qui s’appelait Trou Dondon, de Dessalines qui s’appelait Marchand puis Marchand-Dessalines, de Jérémie qui s’appelait Trou Jérémie, etc.
Le changement de nom de la commune de Milot fait l’objet de plusieurs discussions dans les sections et habitations de ladite commune. Car, Milot est non seulement un nom mettant en avant le colonisateur esclavagiste et raciste, mais aussi ne correspond pas à l’histoire héroïque de la zone à partir de laquelle Henry Christophe voulait établir la postérité d’Hayti et des anciens esclaves noirs. Ainsi, la commune de Milot porte depuis 219 ans le nom d’un ancien colon et esclavagiste français appelé François Milot. Après la proclamation de la liberté générale des esclaves à Saint-Domingue, actuellement Hayti, ce colon et esclavagiste français prônait le rétablissement de l’esclavage dans la zone. Ses désidératas inhumains lui ont couté sa vie lors de la guerre de l’indépendance en 1803. Pourquoi « Milot » doit changer son nom en « Christopheville » ? Par principe de reconnaissance et d’action de grâce, « Milot » doit changer son nom en « Christopheville » afin d’honorer la vision et les œuvres uniques d’Henry Christophe. Car, Henry Christophe a non seulement fondé cette ville en la faisant la capitale de son Royaume du Nord, il fut aussi l’un des principaux chefs de file de la Révolution haytienne (Lochard, 2021). Henry Christophe, connu aussi sous le nom de Henri Ier lorsqu’il s’autoproclamait roi, a de nombreuses réalisations dans le pays et particulièrement dans le Nord. Il n’a pas seulement un passé glorieux, mais il a aussi construit un ensemble de forts et chefs-d’œuvre dans le grand Nord d’Hayti, dont La Citadelle Laferrière (Milot), le Palais Sans-Souci (Milot), le Complexe des Ramiers (Dondon), la Chapelle royale (Milot), le Palais aux 365 portes (Petite Rivière de l’Artibonite), etc.
Le changement de nom de la commune de Milot en Christopheville traduit la volonté légitime d’une population de promouvoir des modèles de succès, d’héroïsme et de patriotisme. Car, contrairement à Milot (tiré de François Milot) qui est un mauvais exemple ne prônant pas la dignité humaine mais l’esclavagisme, Christopheville (tiré du modèle d’Henry Christophe) s’apparente à un nom de porte-bonheur, porteur d’espoir et visionnaire. À cet effet, les articles 4 et 6 du décret du 1e février 2006 portant organisation et fonctionnement de la Collectivité municipale autorisent le changement de nom des communes en concordance à l’histoire et à la vocation de son territoire. Ces articles stipulent respectivement que : « La création ou la suppression d’une commune, ses délimitations territoriales et le changement de son nom sont régis par la loi. » et « Chaque commune de la République choisit son symbole inspiré de son histoire ou de sa vocation, son blason ou tout autre signe distinctif pouvant affirmer son identité. Elle peut les modifier par arrêté du Conseil communal, en accord avec la résolution de l’Assemblée municipale. ». Toutefois, ce nom doit être validé par la législation et consigné dans un document de subdivision géographique nationale pour être officialisé (Conseil économique et social de l’ONU (2007). En conséquence, le passage de la zone de Milot à Christopheville permettra, d’une part, de valoriser la contribution historique et patrimoniale d’Henry Christophe et, d’autre part, de rétablir le symbolisme que représente cette zone ayant été la capitale du premier royaume d’Hayti. En somme, le changement du nom de la commune de Milot en Christopheville constitue un moyen d’honorer la mémoire d’Henry Christophe et un signe de reconnaissance et d’action de grâce. Car, Henry Christophe demeure un modèle en matière de politique d’éducation au point qu’il eut à dire : « De nos institutions nationales procèdera une race d’hommes capables de défendre par leur connaissance et leurs talents, ces droits que les tyrans nous ont déniés pendant si longtemps ».
Références
Conseil économique et social de l’ONU. (2007). Noms géographiques des zones d’Haïti. Neuvième Conférence des Nations Unies sur la normalisation des noms géographiques. Consulté le 20 septembre 2024 sur https://unstats.un.org/unsd/geoinfo/ungegn/docs/9th-uncsgn-docs/crp/9th_UNCSGN_e-conf-98-crp-36.pdf
DAA, MPCE & PNUD. (2013). Pole Cap-Haitien : Esquisse du plan d’urbanisme pour la ville de Milot.
De Cauna, J. (2023). Préserver pour transmettre et faire vivre : la Citadelle Laferrière, patrimoine de l’humanité, du roi Christophe aux Nations-Unies. Leaves, (15), 75-91.
Fils-Aimé, P. Hypolyte, S. (2009). Eléments d’un plan de développement de la 1ère section, Perches-de-Bonnet. CEFCAD, Milot.
IHSI & CNIGS. (2012). Album des cartes départementales et communales d’Haïti.
Lochard, M. L. (2021). L’Expérience Royale d’Henry Christophe en Haïti. Honors thesis, Duke University. Retrieved from https://hdl.handle.net/10161/22922
Ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales (MICT) & Ministère des travaux publics, transports et communication (MTPTC). (2022). Plan Communal de Développement (PCD) de Milot. Institut de Formation et de Services (IFOS), Unité de Coordination de Projet (UCP), Unité Centrale d’Exécution (UCE).
Olsen, J. J. (2024). Haïti : Le vol des canons à la Citadelle Henry, entre silencement et impunité. AlterPresse.
Vincent, M. D. (2023). Huitième merveille du monde : Bienvenue à Milot, Haïti. Centre de Recherche Intégrée et Scientifique d’Haïti (CRISH).