Construction du Canal sur la rivière Massacre : entre fierté et obligation de construire selon les règles de l’art

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Depuis plusieurs mois, la population de Ouanaminthe (département du Nord-Est d’Haïti) intervient sur la rivière massacre en vue de continuer la construction d’un canal d’irrigation qui servira pour l’arrosage des terres fertiles de la vaste plaine du bas Maribaroux (une des plaines les plus importantes pour l’agriculture en Haïti). D’aucuns baptisent ce canal canal de la fierté, canal de la dignité lorsqu’on considère la résistance et la résilience de la population face aux multiples intimidations et pressions exercées par l’État dominicain pour forcer les initiateurs d’arrêter les travaux. D’une seule voix, la population laisse retentir Kanal la p ap kanpe (KPK) et les travaux se poursuivent avec l’aide non seulement des haïtiens des dix départements géographiques du pays, mais aussi des haïtiens de la diaspora.

Cette synergie développée permet de tirer la leçon que voici : quand nous cessons de nous occuper uniquement de notre petite personne pour prioriser l’intérêt national, nous pouvons réaliser de grosses merveilles à la face du monde. De surcroit, comme aurait pu dire l’économiste Marc Louis Bazin, à force de volonté commune, il est possible d’aider ce pays, qui ressemble à un bateau qui traverse une zone de tempêtes, à trouver le vent favorable pour aller au bon port.

D’un point de vue classique, l’irrigation, l’hydraulique agricole ou l’aménagement hydro-agricole consiste à amener l’eau aux plantes par des moyens artificiels afin d’assurer leur développement normal quand les conditions pluviométriques naturelles font défaut. L’irrigation fait donc intervenir des professionnels qui maîtrisent les contours de cet univers très complexe dans toute prise de décision quant à la construction ou la maintenance des ouvrages.

Sur le plan opérationnel, il sagit dun champ qui ne se limite pas à la simple mise en valeur des périmètres irrigués en mettant en rencart le drainage, le contrôle et la prévision des crues, la capacité normale dabsorption des sols, les événements extrêmes du cycle hydrologique, le débit de conception, le laminage des ondes de crue, etc. À défaut de tenir compte de ces éléments importants, on en court un risque hydrologique sévère qui conduira à la défaillance des ouvrages d’irrigation. La défaillance est la situation où l’ouvrage ne remplit pas la mission pour laquelle il a été conçu (Bennis, 2014). Il peut donc s’agir d’un canal d’irrigation qui voit sa capacité dépassée et cause des inondations mettant en jeu les vies humaines en particulier.

Il faut aussi noter que toute défaillance implique des coûts social et matériel, sans oublier des coûts d’investissement et d’installation. Dans cette dynamique, il est une obligation de faire appel à des professionnels du domaine qui sauront considérer le facteur économique et le facteur risque dans toute prise de décision. Ces professionnels sauront adéquatement faire le compromis entre le choix techniquement faisable et le choix économiquement rentable. Ils sauront développer ou appliquer des outils existants d’aide à la décision dans le processus dimplantation des ouvrages en tenant compte des critères, des indicateurs, de la complexité de la réalité et du nombre élevé d’acteurs. Ils sauront développer des stratégies de gestion opérationnelle des ouvrages face aux contraintes techniques (installation de prises ou de biefs) et aux contraintes de fonctionnement (stabilité des berges, risque de débordement).

Qui sont ces professionnels mentionnés précédemment?

Un médecin généraliste n’opère pas un malade souffrant d’une pathologie cardiaque, il faut un médecin cardiologue. Un avocat en droit criminel ou un criminaliste ne défend pas un client à l’immigration, il faut un avocat qui œuvre en droit de l’immigration. De même, dans le domaine du génie, il faut des hydrauliciens qui travaillent, bien sûr, en étroite collaboration avec d’autres professionnels spécialisés pour intervenir dans le champ hydrique selon les règles de lart. Fort de toutes ces considérations, il est du devoir que je conseille l’équipe qui coordonne les travaux de construction du canal sur la rivière massacre à Ouanaminthe de tenir compte des dires d’experts haïtiens ou étrangers œuvrant, entre autres, dans le domaine de l’hydraulique, de la structure et du béton, de la géotechnique, du génie rural, de la topographie, tout en restant vigilante dans la conduite des travaux.

ÉDITEUR / ÉDITRICE

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Pierreman-Fils PIERRE
Pierreman-Fils Pierre est ingénieur civil diplômé de la Faculté des Sciences Appliquées (FDSA) d'Haïti. Il a obtenu un DESS et une Maîtrise en Génie des Ressources Hydriques de l'ISTEAH. Il est actuellement en bi-diplomation au doctorat en génie civil (Axe de spécialisation : Hydraulique) à Polytechnique Montréal – ISTEAH. Il est Maître d’enseignement à l’ISTEAH. Sa recherche doctorale porte sur la modélisation de la performance des pratiques de gestion optimale des eaux pluviales en Haïti par l’approche systémique.
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