Gestion des eaux pluviales en Haïti : des techniques alternatives pour rendre nos villes résilientes et durables

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Il est une évidence, les eaux pluviales jouent un rôle crucial dans nos sociétés. Elles sont indispensables au fonctionnement des écosystèmes terrestres et sont nécessaires au maintien des activités humaines. Cependant, la gestion des eaux pluviales représente un véritable enjeu et fait l’objet de préoccupation majeure de la population haïtienne depuis de nombreuses années. Elle est considérée comme l’un des grands défis à relever en vue de protéger les populations rurale et urbaine d`Haïti contre les différentes menaces d’origine hydrique, compte tenu le manque d’infrastructures adéquates et l`urbanisation non planifiée.

Même si certaines grandes villes du pays (chefs-lieux des départements) possèdent un réseau de drainage des eaux de ruissellement, le problème reste de taille, puisque ces réseaux ne sont pas uniformisés quant à leur conception. Ils sont aussi mal entretenus ou carrément pas entretenus, ce qui fait que ces villes soient excessivement vulnérables par rapport aux inondations (Pierre, 2021). Tout ceci a pour corollaire l’augmentation des risques de vulnérabilité et de précarité des populations rurale et urbaine du pays. On se souvient, entre autres, des inondations causées par les cyclones dévastateurs Jeanne en 2004, Anna, Ike et Gustave en 2008 soldés par de nombreuses têtes de bétail emportées, des champs dévastés et des pertes en vies humaines considérables dans le haut Artibonite. De surcroit, il est un constat, à moindre averse, les principales villes du pays sont inondées. Dans cette situation, il faut des scientifiques pouvant proposer des mesures alternatives pour résoudre le problème.

Techniques alternatives de gestion des eaux pluviales applicables en Haïti

Depuis environ une trentaine d’années, l’approche de gestion des eaux pluviales dite tout à l’égout, largement utilisée en Haïti actuellement, est remplacée par une nouvelle approche qui vise à intégrer les eaux pluviales dans l’environnement, c’est-à-dire, dans le développement urbain et l’aménagement futur du territoire. Dans cette approche, au lieu de tout envoyer à l’égout, il est plutôt décidé de capter, d’utiliser une partie des eaux pluviales pour les activités normales du territoire. Cette nouvelle façon de concevoir les choses est un nouveau paradigme appelé gestion durable des eaux pluviales. Selon Fuamba (2022), la gestion durable des eaux pluviales consiste à retourner les eaux pluviales au milieu naturel (nappe phréatique ou plan d`eau récepteur). Cette gestion se fait avec des ouvrages appelés Ouvrages de gestion des eaux pluviales (OGEP). Au Canada, ces techniques sont appelées Pratiques de gestion optimale (PGO) et sont expérimentées à Vancouver (Colombie-Britannique), à Toronto (Ontario), à Calgary (Alberta), à Montréal (Québec). Aux États-Unis, ces techniques sont connues sous le nom de Best Management Practices (BMP) et sont expérimentées dans diverses villes dont Minneapolis (Minnesota). En Europe, plus précisément en France, elles sont appelées Techniques alternatives (TA) de gestion des eaux pluviales, dont l`expérience se fait à Grand-Lyon, à Paris, etc. Les OGEP constituent les pratiques les plus novatrices et les plus développées actuellement pour la gestion des eaux pluviales en milieu urbain (Fuamba, 2022). Selon le Ministère de l’environnement, de la lutte contre les changements climatiques, de la faune et des parcs du Québec, la mise en place des OGEP favorise l’infiltration dans le sol et limite le ruissellement pour éviter la pollution de la nappe phréatique et le débordement des égouts pluviaux. Ces techniques permettent de :

  1. réduire la quantité d’eau de ruissellement, surtout par des épisodes de pluie abondante ;
  2. augmenter l’infiltration de l’eau dans le sol, afin de contribuer à la recharge de la nappe d’eau phréatique ;
  3. retenir temporairement les eaux de ruissellement ;
  4. diminuer la quantité de polluants dans ces eaux ;
  5. contrôler l’écoulement des eaux de ruissellement dans les cours d’eau.

À l`heure actuelle, l`implantation des ouvrages de gestion des eaux pluviales (OGEP), qu`il s`agisse d`infrastructures vertes/bleues ou grises, représente une véritable nécessité en Haïti en vue de maximiser la résilience et la durabilité des communautés face aux multiples conséquences du phénomène du changement climatique, notamment pour limiter les inondations et les érosions. Chocat et Cherqui (2018) identifient trente-six (36) ouvrages de gestion des eaux pluviales pouvant être appliqués à travers le monde. Parmi eux, après avoir fait des considérations scientifiques, il est décidé de proposer ces dix-huit (18) ouvrages à implanter en Haïti :

  1. Toit vert, applicable pour de grands toits plats des bâtiments industriels ou commerciaux ;
  2. Stationnement, applicable sur les terrains vacants dans des secteurs commerciaux ou industriels déjà construits ;
  3. Débranchement des gouttières, technique très simple et particulièrement applicable sur des secteurs déjà développés, où l`on veut réduire les apports aux réseaux de drainage existants ;
  4. Pavage poreux, applicable là où la perméabilité le permet pour infiltrer l`eau dans le sol ou l`intercepter par un réseau de drains perforés en vue de l`acheminer vers un réseau de drainage ;
  5. Puits drainant, utilisé pour la rétention des eaux pluviales s’écoulant sur des habitations unifamiliales ;
  6. Fossé / Noue engazonné (e) (sec), utilisé pour le drainage des aires de stationnement, des routes et autoroutes, les développements résidentiels et le prétraitement pour d’autres OGEP ;
  7. Noue avec bioretention, installée dans des secteurs résidentiels, à moins qu’un système d’évacuation soit prévu pour s’assurer que le débit d’eau n’excède pas le débit pour la qualité ;
  8. Bande filtrante végétalisée, utilisée comme unité de prétraitement en amont d’autres techniques (tranchée d’infiltration ou le jardin de pluie) ;
  9. Conduite perforée, applicable, entre autres, dans les secteurs où les sols ont une perméabilité suffisante (plus grande de 15 mm/h mesurée avec des tests in situ) ;
  10. Tranchée d’infiltration, utilisable lorsque l’espace est restreint, soit de 1 ha ou moins ; (11) Bassin de rétention, système intégré au paysage urbain en rehaussant la valeur esthétique du secteur et la valeur marchande des propriétés limitrophes ;
  11. Séparateur d’huile et de sédiments, utilisable pour des sites de petites dimensions (inférieures à 2 ha) ;
  12. Jardin de pluie, limité à des petites surfaces tributaires (aire inférieure à 5 ha) où il occupe environ 5 % d’espace. Sur les terrains plus grands, il est possible de créer plusieurs petits jardins de pluie ;
  13. Bassin, aire ou cellule de biorétention, permet de réduire de 85% le volume d’eau acheminé vers les canalisations ;
  14. Bassins végétalisés, très performants et nécessitent une superficie moins grande que les marais filtrants ;
  15. Marais artificiel, conçu pour maximiser l’enlèvement des polluants ;
  16. Saillies de trottoir végétalisées, créent des îlots de fraîcheur et verdissent les quartiers ;
  17. Chaussée à structure réservoir, le matériau poreux est parfois combiné à un enrobé drainant, favorisant ainsi la dépollution des eaux de ruissellement ;
  18. Bassin composé Rétention-Infiltration, très utilisés lorsqu`il est question de gérer de grands volumes d`eau [Exemple : Bassin de Django Reinhardt – Chassieu (Est Lyon)].

Il faut noter que les dix-neuf (19) ouvrages de gestion des eaux pluviales proposés, en support aux réseaux d`égouts, peuvent être implantés dans les dix départements géographiques d`Haïti en vue de reconstituer l’hydrologie naturelle des sites pour lutter contre les inondations. Ils sont catégorisés en ouvrages non-structuraux (utilisation de nouvelles techniques d’entretien ou des moyens préventifs sans la construction d’ouvrages) et structuraux (exigence de construction d’ouvrages de contrôle).

Références

Chocat, B., Cherqui, F. (2018). Proposal for a systematic typology of stormwater control measures. Techniques Sciences Méthodes. No11. 39-46.

Fuamba, M. (2022). Perspectives et défis en hydraulique appliquée. [Notes de cours, Polytechnique Montréal, Québec, Canada].

Fuamba, M., Pierre, P., Cherqui, F. (2023). Approche décisionnelle de maintenance prévisionnelle des techniques alternatives basée sur la modélisation systémique. Communication NOVATECH. Lyon, France.

Pierre, P. (2021). Proposition d’une directive de gestion des eaux pluviales et des eaux usées en Haïti dans le contexte des changements climatiques. [Mémoire de maîtrise, Institut des Sciences, des Technologies et des Études Avancées d’Haïti (ISTEAH), Haïti].

ÉDITEUR / ÉDITRICE

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Pierreman-Fils PIERRE
Pierreman-Fils Pierre est ingénieur civil diplômé de la Faculté des Sciences Appliquées (FDSA) d'Haïti. Il a obtenu un DESS et une Maîtrise en Génie des Ressources Hydriques de l'ISTEAH. Il est actuellement en bi-diplomation au doctorat en génie civil (Axe de spécialisation : Hydraulique) à Polytechnique Montréal – ISTEAH. Il est Maître d’enseignement à l’ISTEAH. Sa recherche doctorale porte sur la modélisation de la performance des pratiques de gestion optimale des eaux pluviales en Haïti par l’approche systémique.
https://www.lescientifique.org/