Tropicana d’Haïti, entre imbattabilité et modèle de gestion

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Dans le domaine musical haïtien, des groupes musicaux vont et viennent. Toutefois, leur survie et leur longévité ne sont pas forcément garanties. Certains voient des jours à cause des contraintes administratives et logistiques tandis que d’autres vivent des décennies grâce à leur discipline et capacité de management. De ces groupes, l’Orchestre Tropicana d’Haïti revêt la plus grande institution musicale haïtienne et l’une des meilleures institutions parmi toutes les institutions sectorielles du pays. Fondé le 15 août 1963 au Cap-Haïtien (Haïti), l’Orchestre Tropicana d’Haïti est un modèle de succès après maintes humiliations vécues suite à son origine de classe populaire. Tropicana d’Haïti a combattu les discriminations de toute sorte pour se faire un nom puis une institution de renommée internationale. Cette année 2024 marque son 61 ème anniversaire d’existence. Lors de la célébration de cet anniversaire dans la nuit du 13 au 14 août 2024, l’Orchestre Tropicana d’Haïti dans son concert annuel sur la Place d’Armes du Cap-Haïtien a mis toutes les compétences, la logistique, le savoir-faire de son côté pour tenir au sommet son score d’imbattabilité et de meilleure gestion des activités socioculturelles, particulièrement en Haïti. Dans un méga concert, l’Orchestre Tropicana d’Haïti a battu tous les records liés à l’affluence, aux feux d’artifices, à l’harmonisation de la lumière, à la très bonne sonorisation musicale, à la prestation musicale et à la satisfaction des mélomanes et fans de la bonne musique. Sur ce, on peut conclure que ce concert reste jusque-là le meilleur concert musical réalisé en Haiti pour cette année 2024. En conséquence, la question que l’on se pose est comment l’Orchestre Tropicana d’Haïti peut-il autant faire de la discipline des musiciens, du sens de responsabilité des managers de l’orchestre, de l’amour du métier et de l’ancrage populaire de l’orchestre des facteurs organisationnels de succès et de survie ?

Comme dans les carnavals, la Place d’Armes du Cap-Haïtien pleine à craquée regorgeait de fans et spectateurs dans ce concert traditionnel. Effectivement, c’était l’apothéose et une véritable marée humaine. Les spectateurs ont été disséminés un peu partout et perchés même sur les arbres afin de suivre ce spectacle où l’Orchestre Tropicana d’Haïti s’amuse naturellement d’en faire un défi pour tous les autres groupes musicaux. Pour ce faire, elle a utilisé les services logistiques de Ben Constant, l’un des meilleurs dans le domaine en Haïti. Voici un extrait du concert retrouvé en libre accès.

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Quid Orchestre Tropicana D’Haïti ?

Eu égard à Info Concert, l’Orchestre Tropicana d’Haïti est issu de l’Orchestre Caraïbes qui vit le jour dans les années 50. L’histoire raconte que c’était un cubain, Basile Cobty qui, paradoxalement, a suggéré le nom : Tropicana au maestro Claudin ou Glaudin. L’histoire du Tropicana parait quelque peu singulière et étonnante. Qui aurait pu imaginer que cet Orchestre, aujourd’hui une référence nationale, connaitrait des moments noirs peu après sa création. Oui, Tropicana d’Haïti connaissait de sombres moments dès son existence pour avoir une origine populaire et non de la classe élitiste capoise. À cette époque, la musique française et la musique latine était très populaires en Haïti. Il fallait venir avec quelque chose de meilleur pour arriver à s’imposer dans une zone qui vous est déjà très hostile. À ses début, l’Orchestre Tropicana d’Haïti a eu beaucoup de mal à s’imposer à cause l’influence et la popularité de l’Orchestre Septentrional, son concurrent éternel. Car, l’Orchestre Septentrional se performa dans les milieux de haut parage et de noblesse du Cap-Haïtien. Paradoxalement, l’Orchestre Tropicana d’Haïti devait se contenter des petits concerts pour amuser le peuple. Pour certains, c’est la présence de Tropicana avec son fameux chanteur Pierre Féquière Joseph, plus connu sous le nom de Giordany Joseph (Gros monsieur), qui allait façonner l’orientation de l’Orchestre Tropicana d’Haïti.

L’aventure a commencé au mois d’août 1963 au Cap-Haïtien, dans la métropole du Nord avec son premier maestro, Emmanuel Turenne, rejoint plus tard par Charlemagne Pierre-Noel, le directeur musical. L’Orchestre a eu du mal à fonctionner tant les pressions sociales étaient fortes. Il ne pouvait pas se produire dans les milieux intellectuels, huppés qui étaient considérés comme la chasse gardée de l’Orchestre Septentrional qui à vrai dire est le fondateur du Compas tandis que le saxophoniste et guitariste haïtien Nemours Jean-Baptiste fondait une variété du Compas appelé Compas Direct le 26 juillet 1955. Voilà la raison qui explique pourquoi l’Orchestre Septentrional est plus ancien que le Compas direct. Car, l’Orchestre Septentrional jouait une autre variété de Compas appelée Compas Mélasse. L’Orchestre Tropicana D’Haïti quant à lui jouait le Compas Roussi.

Par ailleurs, il faut se rappeler que l’Orchestre Tropicana d’Haïti l’orchestre des déshérités, donc il était relégué à l’arrière plan. Si jamais il devait jouer quelque part, en milieu défavorisé bien sûr, c’était pour une pitance. Celui-ci excellait en chansonnettes françaises, boléros et pots-pourris spécialement. Il était une référence sûre, sa voix remplissait l’Orchestre dans tous ses compartiments. Il était devenu un chanteur de charme avec les chansonnettes françaises et ses boléros, dont lui seul avait le secret. Dans son style, il était unique. L’artiste était un parolier extraordinaire. Il a ajouté au répertoire du Tropicana des textes mémorables comme: « Rosemarie », « Marie Madelaine », « Rosie » et « Philomise » que Charlemagne Pierre-Noel et Daniel Larivière avaient orchestrés. Son texte de prédilection était « Le Nègre », arrangé par le professeur Jean Janvier Muselaire. Ces compositions aidaient beaucoup l’Orchestre à se faire connaître, à s’imposer et à explorer d’autres régions du pays. Avec l’aide de certains médias, le Tropicana d’Haïti commençait à faire sa popularité. Des animateurs de radio comme Joseph Solon et Denis H. Mathurin ont beaucoup contribué à la popularisation de l’Orchestre. D’autres émissions populaires comme le club Tropic de Port-au Prince répandaient ses compositions à travers le pays et les rendaient ainsi populaires de jour en jour.

De nos jours, l’Orchestre Tropicana d’Haïti est, après l’Orchestre Septentrional, le deuxième groupe musical le plus ancien du pays. Ainsi, cet orchestre continue de faire la valeur de la musique haïtienne tant dans les caraïbes que dans les pays développés (USA, Canada, France). Pour la petite histoire, lors de la COVID-19, l’orchestre Tropicana d’Haïti a réalisé le plus grand concert culturel virtuel par rapport aux groupes musicaux haïtiens. Dernièrement, le 13 août 2022, il a offert un spectacle à nulle autre pareille sur la Place d’arme du Cap-Haïtien. Des milliers de spectateurs leur ont suivi et cadencé leur rythme musical magique et exceptionnel.

La performance de l’Orchestre Tropicana d’Haïti n’est pas un fruit du hasard. La petite histoire raconte que de nombreux  jeunes talentueux n’ont pas réussi leur stage malgré leur compétence musicale à cause de leur manque de discipline et de valeurs morales et éthiques. L’Orchestre Tropicana d’Haïti demeure généralement un patrimoine culturel, organisationnel et disciplinaire pour le pays et la musique, et particulièrement pour tous les groupes musicaux haïtiens. La gallerie suivante présente quelques images du méga concert de l’Orchestre Tropicana d’Haïti réalisé dans la nuit du 13 au 14 août 2024, lesquelles images sont tirées de la page Facebook de l’orchestre.

Auteur / autrice

  • Marc-Donald Vincent est spécialiste en gestion de projets. Il a obtenu une licence en sciences agricoles de l'Université Chrétienne du Nord d’Haïti (UCNH) en 2016, un diplôme d’études supérieures spécialisées (D.E.S.S.) en gestion des projets d'architecture et d'aménagement en 2020 et une maîtrise (M.Sc.A) en gestion de projets en 2021 de l'Institut des Sciences, desTechnologies et des Études Avancées d'Haïti (ISTEAH). Après son stage de recherche au Laboratoire de recherche en réseautique et informatique mobile (LARIM) de Polytechnique Montréal, il poursuit sa recherche doctorale en sciences de la gestion en Haïti à l'ISTEAH. Sa thèse doctorale porte sur les facteurs de succès et de sous-performance des projets publics mis en œuvre dans les pays à revenu faible et intermédiaire, cas d'Haïti. Aussi, Marc-Donald Vincent est président du Centre de Recherche Intégrée et Scientifique d’Haïti (CRISH) et du journal Le Scientifique promouvant la recherche scientifique en Haïti.

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