Le pouvoir judiciaire en Haïti vers une mission de plus en plus compliquée

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Aujourd’hui, plusieurs décennies après l’adoption de la Constitution de 1987 amendée par voie référendaire, la magistrature haïtienne est dépassée par les événements : menaces et intimidation de toutes sortes se profilent à l’horizon, difficultés pour se rendre dans les Tribunaux, peur de se faire séquestrer, arrogances dans les mesures étatiques, l’imposition de la logique du plus fort au détriment de la loi, faiblesse au niveau des syndicats, manipulation dans les mouvements revendicatifs, faim excessive en milieu carcéral, vol des dossiers sensibles, refus du renouvellement des mandats, rétention des demandes de promotion, tentative de désacralisation de la plus haute instance judiciaire (la Cour de Cassation), étalement des tendances réactionnaires et refoulement aux pieds des acquis démocratiques au profit d’une minorité gouvernementale agissant servilement dans l’intérêt de la communauté internationale qui, traditionnellement, s’acharne contre le contexte du renversement du système colonialiste duquel dépendait leur prospérité à partir du travail fourni par nos prédécesseurs.

Certains magistrats ont peur de se faire priver des prérogatives auxquelles ils ont droit à cause de la mauvaise gouvernance d’ une équipe gouvernementale minisant les cahiers de doléances des masses défavorisées tant dans l’aire métropolitaine que dans les villes de province. D’autres magistrats cultivent le désir d’aller en terre étrangère loin de leur famille et de leurs amis. D’autres encore préfèrent jouer le jeu de la résignation ou du silence en laissant le hasard décider de leur propre sort.

Avec le temps, nous découvrons tout : les raisons cachées du maintien de la dépendance du pouvoir judiciaire, les méfaits des mensonges politiques sont dangereux que la menace d’une bompe atomique et que des politiciens ne nous aiment que quand ils peuvent profiter de notre laxisme mais quand ils ne le peuvent pas ils nous jettent dans une poubelle. Plus nous observons la réalité au quotidien et plus nous nous rendons compte que, l’important ce n’est pas d’avoir des dirigeants asservis mais des dirigeants patriotes et respectueux de la loi de leur pays.

Voilà qui donne beaucoup à réfléchir ! Si les juges, en dépit de leur connaissance juridique et du degré élevé de leur maturité, sont victimes des mesures arbitraires d’un gouvernement dont le résultat est honteux et catastrophique, qu’en est-il de la population haïtienne privée d’un minimum de culture intellectuelle et d’une éducation à la citoyenneté ?

Il importe de souligner que la destruction d’une nation commence avec le musèlement des acteurs judiciaires appelés à trancher équitablement et en toute impartialité dans les situations conflictuelles.

Plus que jamais, le moment est venu pour tous les juges d’en prendre conscience, de se solidariser, de comprendre que les intérêts personnels de la classe dirigeante ne sont pas favorables à une justice de qualité où tous, peu importe la fonction occupée, le rang de leur famille, la couleur de leur peau, l’immensité de leur fortune, peuvent etre entendus conformément aux dispositions de la loi .

Il ne faut pas nous en plaindre : la vie d’un peuple est faite des moments de haut et des moments de bas et que les expériences nous enseignent toujours d’une part sur les manquements relatifs à notre cheminement historique et d’autre part nous indiquent la route à emprunter pour mieux survivre.

Au stade où vont les choses, avec un gouvernement dépourvu de toute légitimité, composé des politiciens au double visage : un visage pour se faire briguer un poste et un autre visage pour le garder, avec le premier visage, ce sont des sourires aux lèvres, de la multiplication des actes de charité, des dons à des fins communautaires et du simulacre dans le respect dû aux symboles nationaux mais au second visage, la bouche qui se disait respectueuse des droits de l’homme c’est cette même bouche qui écrase la population dans ses revendications, c’est l’instrumentalisation des forces répressives contre le ou les soulèvements populaires, c’est l’emprisonnement des acteurs des groupes de pression, c’est la méconnaissance des exigences de la gouvernance, c’est le rejet de leur responsabilité dans la gestion rationnelle de la chose publique et c’est le massacre ou l’exécution sommaire des plus faibles et des plus pauvres dans des conditions désastreuses, nous devons évaluer notre positionnement idéologique et les outils légaux dont nous disposons pour sauver la république d’Haïti prise en otage par de multiples malveillants et vagabonds de grand chemin.

Sachez qu’une justice pénale inexistante pour les hauts responsables de l’Etat doit etre remise en question et se tournera toujours contre les intérêts de la collectivité dont les droits sont refoulés aux pieds. Comment se fait-il que que nous avons un système judiciaire à plusieurs vitesses : une justice pour entendre et condamner les petits voleurs de poules , de téléphone et de chèvres, une justice pour clouer les petits bagarreurs sur les voies publiques mais une autre justice très lente pour entendre celui ou celle qui menace la liberté de toute une nation y compris la liberté de chaque juge dans les différentes juridictions du pays.

Si nous continuons à répéter que la justice est une femme aux yeux bandés mais cette femme vit-elle en concubinage avec les membres du gouvernement actuel qui gèrent le pays comme une boutique qu’il ont recue de leur père comme les seuls héritiers ? Si nous continuons à dire que la justice est une femme aux yeux, nous ne devons pas avoir peur de combattre la délinquance politique. Si nous continuons à dire que la justice élève une nation, nous devons assumer nos responsabilités au regard de la loi et des impératifs de notre conscience.

Certes, le juge ou les juges, contrairement aux autres, ne doivent pas dire n’importe quoi ni s’exprimer de n’importe quelle manière mais nous avons le droit de dire non aux mesures arbitraires et illégales entravant la vitalité de notre société haïtienne en quête d’un changement qualitatif et quantitatif. Nous avons aussi le droit de défendre la souveraineté nationale à un moment où le sens de notre patriotisme doit se manifester dans toute sa signification.

C’est possible et c’est un devoir moral parce que dans la magistrature haïtienne, il y a de grandes ressources humaines, des têtes bien pleines et bien faites sur lesquelles nous pouvons compter et qu’ensemble et à l’écoulement du sang dessalinien de nos veines, nous le répétons, soyons tous debout pour faire échec aux manoeuvres de déstabilisation du pouvoir exécutif monocéphale qui devra partir tôt ou tard et sortir par la petite porte de l’histoire. Vive une magistrature haïtienne unie et indépendante.

Pour citer l’article 👇

Frito, A. (2022). Le pouvoir judiciaire en Haïti vers une mission de plus en plus compliquée, Le Scientifique, Haïti. Tiré de https://lescientifique.org/le-pouvoir-judiciaire-en-haiti-vers-une-mission-de-plus-en-plus-compliquee

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