La Bataille de Vertières, le 18 novembre 1803, demeure l’un des plus grands moments d’émancipation humaine jamais inscrits dans l’histoire. Cette confrontation héroïque entre les troupes indigènes d’Haïti, menées par Jean-Jacques Dessalines et ses valeureux lieutenants, et l’armée française de Rochambeau ne fut pas une simple victoire militaire. Ce fut un cri universel contre l’oppression, une démonstration éclatante que la soif de liberté transcende les chaînes de l’esclavage et les tyrannies impériales. Ce jour-là, sur les terres de Vertières, l’humanité triomphait de l’inhumanité.
Pourtant, aujourd’hui, cette épopée, qui aurait dû devenir le socle moral d’une nation unie, est trahie par des dirigeants déconnectés de l’héritage héroïque de nos ancêtres. Leur gestion chaotique et leur complicité active dans la déchéance nationale sont autant de crachats sur la mémoire des combattants de 1803.
Un exploit incomparable dans l’histoire universelle
Vertières n’est pas une bataille comme une autre. Elle incarne l’aboutissement d’un long combat pour la dignité humaine, où des esclaves ont défié l’une des armées les plus puissantes de leur époque. Jean-Jacques Dessalines, avec son courage sans égal, transforma une révolte en révolution, pulvérisant les chaînes coloniales.
Face à l’armée de Napoléon, les combattants indigènes démontrèrent une stratégie et une résilience exceptionnelles, forçant les généraux français à plier. Ce triomphe ne fut pas simplement celui de la force brute, mais de l’intelligence tactique et d’une détermination inébranlable. Vertières est ainsi devenue un modèle universel d’émancipation, inspirant des figures comme Toussaint Louverture, mais aussi bien au-delà, des leaders africains et afrodescendants dans leurs luttes pour la souveraineté.
Comme le disait le penseur sénégalais Cheikh Anta Diop : “Chaque peuple a une bataille qui le définit. Lorsque celle-ci est trahie, ce peuple entre dans une nuit morale où l’étoile de ses héros s’éteint” (Diop, 1987). Aujourd’hui, cette nuit semble s’être abattue sur Haïti.
Une mémoire profanée par l’élite locale
Il est tragique de constater que les héritiers de cette glorieuse victoire sont devenus les fossoyeurs de la nation. Plutôt que d’honorer la mémoire de nos ancêtres par des actes de justice et de progrès, les élites haïtiennes s’enfoncent dans une spirale de corruption et de divisions intestines.
Ces dirigeants trahissent chaque jour l’héritage de Vertières par leurs actions : détournements de fonds publics, alliances avec des puissances étrangères et indifférence face à la souffrance de la population. Cette situation rappelle les mots d’Amadou Hampâté Bâ : “Lorsqu’une élite trahit ses ancêtres, elle transforme leur sang versé en boue et condamne son peuple à l’errance.” (Hampâté Bâ, 1962).
Les commémorations de Vertières, réduites à des spectacles stériles, ne sont qu’un cache-misère, masquant l’effondrement moral de la société haïtienne. La grandeur des héros est salie par l’inaction et le mépris des gouvernants actuels.
Une nation en quête d’un second souffle
Vertières fut une victoire pour l’humanité. Mais Haïti, cette première république noire libre, semble avoir oublié la portée universelle de cet héritage. Si nos ancêtres ont détruit l’ordre esclavagiste pour établir une société juste, nos dirigeants contemporains perpétuent les chaînes de la misère, enfermant la population dans un cycle de pauvreté et d’aliénation.
Pourtant, il n’est pas trop tard pour retrouver le chemin tracé par Dessalines. Comme l’écrivait Frantz Fanon : “Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir.” (Fanon, 1961). Haïti peut encore remplir cette mission en redonnant un sens aux sacrifices de Vertières.
Une lumière à raviver
La Bataille de Vertières ne disparaîtra jamais des annales de l’histoire. Mais elle ne survivra réellement que si nous cessons de la commémorer en vain et que nous entreprenons des actions concrètes pour rétablir les idéaux de liberté, de justice et de solidarité. La rédemption passe par une refondation nationale, ancrée dans le respect de la mémoire de nos ancêtres.
En honorant Vertières, nous honorons aussi la possibilité d’un futur digne. Ce n’est qu’en brisant les chaînes modernes de la trahison et de la complaisance que nous pourrons donner un sens au sacrifice ultime des héros de 1803.
Références
Diop, Cheikh Anta. Civilisation ou barbarie, Dakar : Présence Africaine, 1987.
Hampâté Bâ, Amadou. Amkoullel, l’enfant peul, Paris : Actes Sud, 1962.
Fanon, Frantz. Les Damnés de la terre, Paris : François Maspero, 1961.
Fouchard, Jean. Les Marrons de la liberté, Port-au-Prince : Imprimerie des Antilles, 1981.